Un tournant dans la crise des sans-abri ? Depuis que la Cour suprême a décidé fin juin qu’il n’existait aucun droit constitutionnel à dormir dans la rue, les municipalités de l’Ouest américain commencent à démanteler les campements, et notamment en Californie, l’Etat qui compte quelque 186 000 homeless, soit un tiers des personnes sans logement aux Etats-Unis.

Le 28 juin, la Cour suprême a renversé une jurisprudence de 2019 qui interdisait aux villes de criminaliser le fait de dormir dans un lieu public si elles n’étaient pas en mesure de proposer un hébergement aux sans-abri – ceci au nom du 8e amendement de la Constitution qui prohibe les châtiments « cruels et inhabituels ».

La Cour a estimé que le 8e amendement ne s’appliquait pas à la situation des homeless. Une décision majeure qui permet de nouveau aux municipalités d’imposer des amendes voire des peines de prison aux sans-abri, même si aucune solution d’hébergement n’est disponible.

Décriée par les associations humanitaires, la prise de position des juges a été saluée par les élus, notamment démocrates, majoritaires dans les grandes villes de l’Ouest et débordés par l’augmentation du nombre de sans-abri sur leur territoire, par ailleurs en baisse dans le reste du pays. En période électorale, les élus ne peuvent ignorer que le spectacle des homeless prostrés sur les trottoirs est un crève-cœur de plus en plus intolérable pour leurs concitoyens.

Fin juillet, le gouverneur de Californie, Gavin Newsom, l’un des porte-voix de la gauche progressiste aux Etats-Unis, a rendu un décret ordonnant à ses services de commencer à éliminer les tentes installées sur des terrains appartenant à l’Etat : parcs, plages, édifices publics, bords des routes, zones se trouvant sous les échangeurs d’autoroutes. Les agents ont été invités à procéder « humainement » : les expulsés doivent être prévenus de quarante-huit à soixante-douze heures à l’avance, être mis en relation avec les services sociaux, et leurs biens personnels être étiquetés et conservés pendant au moins soixante jours.

Le gouverneur est allé lui-même donner l’exemple : il a déblayé tentes et détritus sous un pont d’autoroute avec les agents municipaux des transports. Gavin Newsom s’impatiente. Depuis son entrée en fonction en 2019, le Golden State a consacré quelque 24 milliards de dollars à essayer de résoudre la question des sans-abri. Les statistiques ont à peine évolué : toujours 186 000 personnes dans la rue, selon le recensement effectué en janvier, soit cinq mille de plus qu’en 2023. Sanctions pénales

La plupart des municipalités californiennes ont commencé à démanteler les villages de tentes. Quatorze d’entre elles ont publié des ordonnances interdisant le camping. Santa Monica songe même à interdire aux sans-abri de transporter sacs de couchage et oreillers. Mais certains élus, comme Karen Bass, la maire de Los Angeles, s’inquiètent des conséquences de la décision de la Cour suprême. « Il ne faudrait pas qu’elle soit utilisée comme une excuse pour tenter de résoudre le problème des sans-abri par des arrestations ou cacher la crise dans les villes voisines ou en prison », a-t-elle réagi.

Depuis son élection en 2022, Karen Bass a fait de la crise des sans-abri – quelque 45 000 personnes dans la mégalopole de Californie du Sud – une priorité. Elle a multiplié les acquisitions de motels pour héberger les homeless et les rapprocher des services sociaux. Pour la première fois en six ans, le nombre de personnes sans abri à Los Angeles a légèrement diminué, selon le recensement effectué en janvier par l’Autorité des services pour les sans-abri.

London Breed, la maire de San Francisco, s’est au contraire félicitée de ses nouveaux pouvoirs. Confrontée à une réélection difficile le 5 novembre, la démocrate a ordonné le démontage des tentes et multiplié les offres de tickets de bus gratuits à ceux prêts à quitter la ville. Elle a aussi commencé à s’attaquer aux véhicules en stationnement illimité dans lesquels dorment les sans-abri, non pas les toxicomanes installés dans le centre-ville, mais des travailleurs précaires, voire des étudiants. Ses services imposent désormais des sanctions pénales contre les « campeurs » qui refusent un hébergement. « Nous ne pouvons pas laisser les gens rester dans des tentes s’ils refusent nos offres, a-t-elle expliqué. Et nous ne le ferons pas. »

Le durcissement n’est pas sans effet. Fin septembre, vingt-six tentes avaient été dénombrées à Tenderloin, le quartier des sans-abri et des hôtels précaires à San Francisco : le nombre le plus bas depuis le 1er mai (elles étaient alors plus de soixante-dix). Depuis que la ville a intensifié l’application des lois anticamping, le 1er août, la police a interpellé 215 sans-abri, selon le média en ligne The San Francisco Standard : 80 % d’entre eux pour occupation illégale ; les autres pour possession de drogue, présentation d’une fausse identité ou en vertu de mandats d’arrêt en cours.

Les démocrates sont au pied du mur. Les républicains ont fait de la Californie le punching-ball de leurs attaques contre la gauche et le symbole de l’échec des politiques progressistes et du déclin qui attend l’Amérique si elle cède aux sirènes de Kamala Harris, ex-procureure et sénatrice du Golden State, et de ses amis comme Gavin Newsom. « Il est important que les forces progressistes du pays montrent qu’elles sont capables de gérer » la question des sans-abri, a considéré le membre du conseil municipal de San Francisco Rafael Mandelman, peu après le début du démantèlement des tentes.

Pour les électeurs, il est plus que temps. Elu maire de San Francisco en 2004, Gavin Newsom promettait déjà de régler le problème des homeless, comme le lui rappellent régulièrement les républicains. A son départ de la municipalité en 2011, plus de six mille personnes étaient toujours sans logement. A peine moins qu’aujourd’hui.