À partir d’une enquête d’Ariane Chemin, comment un certain Félix Mora a recruté en masse de jeunes Marocains pour les mines du Nord et de Lorraine. Une autre histoire de la France et de l’immigration, racontée par ses acteurs.

“Mora veut, Mora a !” Dans les années 1960 et 1970, Félix Mora sillonne en DS le sud du Maroc en quête de muscles à bas coût pour les mines de la France gaullo-pompidolienne. Dans les vallées du Haut-Atlas, le crieur ou le caïd annonce son arrivée à des cohortes de paysans berbères candidats à l’exil, alignés par numéros des heures durant sous le soleil. Ancien militaire, l’agent recruteur des Houillères du bassin du Nord et du Pas-de-Calais examine et palpe les corps. Lahcen Tighanimine (ainsi rebaptisé du nom de son village), Hammou Chakouk et les autres attendent avec anxiété son verdict : tampon vert sur les torses nus, l’espoir d’argent pour la famille et la fierté ; rouge, le retour au bled et la honte. Mora aurait ainsi recruté plus de 80 000 mineurs pour le Nord et la Lorraine. Après deux jours et trois nuits à fond de cale, dans les entrailles du paquebot Lyautey, le débarquement à Marseille est suivi du transfert, avant la descente dans les galeries de poussière noire, aux côtés d’Italiens, d’Espagnols et de Polonais, mieux payés. À la fermeture des mines dans les années 1980, les “Mora” découvrent les chaînes des usines automobiles Renault et Peugeot, ouvriers d’une France industrielle déclinant au crépuscule des Trente Glorieuses. Vient le temps du regroupement familial, des naissances et des cités qui achève de les convaincre de rester…

Le choix d’un destin

À sa fille Mariame, sociologue, qui l’interroge sur la violence de la méthode du “négrier des Houillères”, Lahcen Tighanimine répond simplement : “T’es pas contente d’être ici ?” Lucides et enjoués, ces retraités racontent sans nostalgie leur épopée industrieuse, loin des arganiers et des palmiers-dattiers de l’Atlas, et le choix d’un destin : “On a pensé à la vie devant nous…” Devenus pères et grands-pères de centaines de milliers de Français, les anciens mineurs, touchants, témoignent avec précision et sans pathos. À rebours des débats identitaires empoisonnés, leur récit, au présent, dessine tout en nuances une histoire de la France et de l’immigration méconnue, entre travail, exploitation, dignité, rêves accomplis et mémoire, et montre combien la traversée de la Méditerranée revêt, aujourd’hui comme hier, une dimension mythologique.

Documentaire de Frédéric Laffont (France, 2021, 54mn)

  • Camus [il/lui]@lemmy.blahaj.zoneOP
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    9 months ago

    Parce que le ForumLibre c’est aussi du contenu intéressant plus que juste “feel good”, un documentaire qui met en lumière une partie de l’histoire souvent méconnue.